
C'est peut être le premier openworld d'Ubi qui commence un petit peu à traiter ses propres défauts...
Pour mémoire, Assassin's Creed 1 était un joujou de gosse (dans un bel écrin) ultra libre mais dont il fallait impérativement accepter les règles discutables et surtout, auquel il fallait concéder une grosse part d'imaginaire de la part du joueur. AssCreed 2 était son opposé philosophique, un open world ultra classique (le schéma GTA : objectif/point sur la carte/combat/récompense) mais bien plus réussi ludiquement. Les deux opus suivants furent des updates avec plus ou moins d'intérêts (aussi bien scénaristiques que ludiques) malgré un multiplayer très frais et réussi.
Et vient AC3.
Ok, six heures de prologue ultra linéaire, ça peut déstabiliser quelques testeurs vidéo ludiques au point de le mettre dans les points négatifs. Mais il y a du génie là dedans.
Le piège numéro 1 : La narration dans les Assassin's Creed lol
Doux euphémisme, les tirades kojimesques d'Assassin's Creed 1 (qui posait des questions intéressantes maladroitement : est-ce que toi, joueur, tu es prêt à obéir aveuglement à tout ce que je t'ordonne de faire, moi game designer, alors que tout porte à croire que tes actions sont mauvaises...) et les dialogues consternants de platitude d'Assassin's Creed 2 (qui constituaient les premiers d'une longue série d'anachronismes dérangeants) ont propulsé le scénario de la série dans un abracadabrant bordel conspirationniste. J'applaudis des deux mains le réel effort apporté à la narration de ce prologue.
Les enjeux sont clairs.
On dirige un personnage nouveau mais grâce aux gimmicks inhérents de la série (la lame, le parkour, le mystère..) nous apparait singulièrement familier. Pas de long discours, juste une réunion entre gars qui ont l'air de conspirer et qui m'ordonnent d'aller dans le nouveau monde pour trouver une caverne qui renferme LA solution. OK
Il y a un petit mystère sur le navire qui m'achemine vers la terre promise, on tente de me la faire à l'envers parce que j'ai assassiné un mec important. OK
J'ai une liste de 5 noms de conspirateurs qui pourront m'aider à trouver la caverne. Chacun des cinq personnages est intégré à l'histoire dans le style des 7 samourais. Non seulement, ils ont chacun une identité visuelle propre, mais en plus la personnalité est renforcée par des traits de caractères bien trempés (appuyé par de savoureux dialogues et des motivations justifiables).
J'arrive en Nouvelle Angleterre, pour trouver la caverne, va falloir copiner avec les indiens locaux qui maîtrisent un peu le truc. C'est clair, c'est pas torturé, et Ubi comprend qu'il est inutile de faire un truc foutraque pour rendre la chose intéressante... la suite se dessine peu à peu assez clairement, Connor sera le fils de l'union de notre protagoniste avec une jolie indienne locale.
Bah voilà, c'était pas si compliqué de rendre les personnages un tant soit peu palpables, réels et intéressants. Suffit de rester simple finalement.
On va pouvoir démarrer avec un personnage dont on a vu la naissance et les motivations réelles, une liste des 5 badguys charismatiques à éliminer.
Cool.
Le piège numéro 2 : Le changement de continent
A l'image d'un voyage que j'avais fait il y a quelques années pour partir d'Espagne, traverser le Maroc, la Mauritanie et enfin arriver au Sénégal, l’appréhension d'un nouveau continent par la mer est une sensation totalement inédite.
L'Amérique, pour un joueur qui a fait les précédents jeux, c'est le nouveau monde. C'est une terre fraîche, mystérieuse et inconnue. L'erreur fatale aurait été de faire démarrer le joueur directement sur ce continent. L'idée de génie, c'est de faire commencer la partie dans le symbole même d'une Europe vieillissante, sure de ses valeurs culturelles omnipotentes..
Suffisamment long et appuyé, le voyage en bateau est un moment magique, une attente juste présente pour faire monter la sauce, une invitation au voyage dans le plus pur style de la série.
Et quelle est la première chose que l'on aperçoit lors des premiers pas sur le continent..? Boston. Un pastiche de la vieille Europe, décrépie, un mélange de puanteur, de bruit, grisâtre et maussade... avec ses pubs malfamés, son insécurité, ses rues boueuses et sales. Une image du colonialisme décadent, sans règles aucune qui contraste avec d'autant plus d’énergie que les premiers pas dans la Frontière (cette grande vallée forestière) est un modèle d'idéalisme écolo et coloré.
Le piège numéro 3 : Donner l'impression d'immensité à un voyage de pixels
Bon, moi ça m'a marqué. Déjà l'arrivée dans le théatre est d'une finesse et d'une justesse inouie (bande son, tapis rouge, foule, les portes qui s'ouvrent), et la caméra se colle à la nuque de ce mystérieux personnage qu'on incarne pour nous immiscer dans une scène presque intimiste. Une représentation théatrale et une scène d'assassinat presque banale pour l'amateur de la série (comme si, depuis l'Italie de la Renaissance, plusieurs générations ont défilées comme si rien ne changeait).
De cette ouverture, jusqu'aux premiers pas sur le nouveau monde, c'est la caméra qui se décroche du personnage principal pour passer de l'intimisme au gigantisme; extrapolant encore plus la découverte d'un continent immense empli de mystère.
Là encore, ne pas avoir démarré le jeu sur une scène spectaculaire (comme le guide du bon jeu AAA le recommande) mais avoir choisi une approche en douceur favorisant la découverte et le sentiment d'immensité naissante, c'est avoir éviter un des pièges majeurs de la part des scénaristes.
Le piège numéro 4 : Un monde qui réagit
J'en suis à un peu plus de 10 heures de jeu, mais déjà, le monde d'AC3 bouge et se révolte. Contrairement aux précédents opus, pourtant situés à des moments clefs de notre histoire (la troisième croisade et ses guerres de religion, la renaissance et le changement d'un monde politique...) mais qui n'utilisaient que partiellement ou très mal leurs contextes historiques, AC3 exploite à fond les évènements extraordinaires de cette période de changement.
Le massacre et le fameux tea party de Boston constituent de belles paraboles scénaristiques aux actions de Connor. C'est aussi tout l'emballage esthétique du jeu qui respire la révolte et le soulèvement populaire avec un joli sens du rythme et de la mise en scène. J'y vois comme une influence très positive de Mafia 2 (voir LA Noire) dans le soucis apporté aux détails et aux évènements contextuels omniprésents qui parsèment les balades dans le jeu. Le double effet bénéfique, en plus d'apporter de la crédibilité à cet univers, c'est de la rendre un peu moins générique qu'un GTA-Like lambda sans toutefois donner l'impression de prendre le joueur par la main dans une évolution trop linéaire.
Bon, allez, je continue le voyage. Mais dores et déjà, je trouve très impressionnant que les scénaristes d'Ubi Montreal ait ré-imaginé leur bébé d'une manière autre que purement mercantile (more of the same...) en produisant un impressionnant travail de mise en scène.
Et puis il y a les batailles navales.... <3