L'an dernier, la rubrique
Pixels du
Monde publiait le résultat d'un sondage, selon lequel une écrasante majorité de français ne considérait pas le jeu vidéo comme faisant partie de la culture. Plus récemment,
Pixels a rapporté les propos de Françoise Nyssen, Ministre de la Culture, qui considérait au contraire que le jeu vidéo faisait partie intégrante de la culture. Bref, on en revenait à l'éternel débat : le jeu vidéo est-il un art ? Le jeu vidéo mérite-t-il une place au sein de la culture ? ou de la Culture avec un grand "C" ? Ce qui amène aux questions plus générales : qu'est-ce que l'art ? Qu'est-ce que la culture ? Qu'est-ce qui mérite d'en faire partie ou pas ? Est-ce qu'il y a une Culture supérieure et des sous-cultures ?
En rapport avec ces questions, j'ai pris connaissance, un peu par hasard, d'un livre que je me suis procuré, et que je suis en train de lire en ce moment :
Culture et contre-cultures de Jean-Louis Harouel.

L'auteur est un professeur et un historien du droit. C'est aussi un essayiste fortement marqué à droite. Dans son livre, qui a été primé en son temps par l'Académie des sciences morales et politiques, il annonce clairement la couleur, sans ambiguïté : il n'y a qu'une seule Culture avec un grand "C" qui mérite d'être appelée comme telle et qui mérite d'être prise au sérieux, c'est la Culture classique, qui regroupe la Littérature, la Peinture, la Sculpture, la Musique, la Danse et l'Architecture. Classiques, bien entendu. Pour lui, le Cinéma n'en fait pas partie. Ce n'est pas un art, ça ne fait pas partie de la culture, ce n'est que du divertissement, au même titre que la photographie, d'ailleurs.
Pourquoi ? Parce que selon lui, le cinéma et la photographie, à cause des progrès techniques qu'ils apportent et de leur facilité à reproduire la réalité, sont antinomiques de l'art, qui demande un effort pour approcher cette réalité. Il faut que l'artiste fasse un effort de créativité (sans être aidé par la technique, ou le moins possible) pour retranscrire la réalité et la beauté, et il faut également que de son côté le lecteur/auditeur/spectateur fasse un effort d'imagination pour "visualiser" cette réalité et cette beauté. Pour Harouel, c'est dans cet effort que réside la clé de l'art et de la culture, parce que c'est aussi la clé pour s'élever et devenir meilleur.
Tout ce qui tend à gommer cet effort "artificiellement", au moyen d'un progrès technique, ne fait que le gâcher, et se retrouve donc, intrinsèquement et irrémédiablement, en contradiction avec l'idée même d'art. Par conséquent, tout ce qui peut résulter de ce progrès technique qui reproduit la réalité plutôt que d'essayer de s'en approcher est par essence inférieur à la "vraie Culture", et constitue même une menace pour elle.
Harouel tranche donc dans le vif : la photographie, c'est déjà une trahison de l'Art. Le cinéma, ce n'est pratiquement pas de l'Art. Ou en tout cas, c'est radicalement inférieur à la Littérature. Tout ce qui est commercial est ennemi de la Culture. L'art contemporain est ennemi de l'Art (thèse développée dans un autre de ses essais, "La grande falsification", en 2009). La télévision est par essence une menace mortelle pour l'Art et la Culture. Elle conduit d'ailleurs à lire des bandes dessinées, or la BD n'est surtout pas de l'Art, surtout pas de la Littérature (et au Japon, le manga endommage le cerveau des jeunes). Le Rock, à cause de son poids commercial et de son absence d'effort pour "rentrer" dans la musique, est complètement antinomique de la Musique classique. La première édition que j'ai, qui date de 1993, ne fait pas mention des jeux vidéo, tout au plus de la réalité virtuelle, mais on devine que c'est complètement antinomique de l'effort artistique.
Bref, je me réjouis presque de tomber sur un rejet aussi radical, aussi complet, aussi assumé, de tout ce qui a pu découler du progrès technique. Ce n'est pas que je sois d'accord, bien entendu. Mais au moins, Jean-Louis Harouel est beaucoup plus cohérent, par exemple, que ceux qui crachent sur le jeu vidéo tout en s'assumant cinéphiles, bédéphiles, amateurs de rock... tout ça au nom de la Culture, bien entendu.